Trous noirs et trous blancs du management
- lroche1240
- 21 juin
- 3 min de lecture

Il n’y a pas de rapport manager-salarié. Plus précis, il n’y a pas de rapport simple et immédiat entre manager et salarié. Une part des hommes et des femmes qui font l’entreprise demeurera toujours, pour le manager, et inversement, impossible à formuler.
Naturellement, affirmer ceci vaut précaution. Ce qui importe, comme pouvait le dire Lacan, dans ce qui se joue entre chacune et chacun, c’est ce qui est proprement articulé dans le discours de l’inconscient de chacun des acteurs. Or, si l’inconscient a affaire au désir, comme le précise Lacan, c’est à ceci près que les rapports, qui mettent en scène le désir — ce à quoi n’échappe évidemment pas la relation managériale — ne peuvent en aucune façon s’y inscrire.
La galaxie des singularités humaines
Ce qui se joue entre les femmes et les hommes qui font l’entreprise déborde toujours les mots, excède les procédures. Et c’est précisément là que réside toute la richesse du management : dans cette part irréductible d’humanité, de complexité, de singularité.
S’il est vrai qu’une part de l’être reste inarticulable — ce que le discours de l’inconscient, au sens de Lacan, travaille silencieusement — c’est précisément cette part qui donne toute sa substance à l’acte managérial. Le désir, moteur fondamental de l’être humain, irrigue aussi les relations de travail. Et le management, loin de vouloir et de devoir tout maîtriser, s’épanouit lorsqu’il apprend à composer avec cette dynamique des désirs, des attentes, des trajectoires.
Les lois invisibles du cosmos managérial
« De la contingence à la nécessité, c’est là le point de suspension à quoi s’attache toute relation » (Lacan). Voilà pourquoi le management ne saurait être une mécanique froide. À l’image de l’univers, il est fait de forces invisibles et de lumières perceptibles. Il existe comme la matière existe : par ses effets.
Le danger n’est pas tant dans la gravité du management que dans son possible enfermement sur lui-même, sa tentation de tout absorber, de tout centraliser. Non pas tout comprendre, tout contrôler, mais accepter l’altérité irréductible de l’autre. C’est en acceptant ce mystère que le management gagne en consistance, en puissance et en fécondité. Nommer les choses, c’est déjà leur donner corps. Sortir des concepts figés, des lieux communs du commandement, c’est là la véritable modernité managériale. C’est en pensant positivement le management qu’on lui donne pleinement sa réalité. Par nature, le management porte aussi une vocation lumineuse : celle de révéler, d’émanciper, d’insuffler de la dynamique.
Gravité et lumière : les deux astres du management
Dès lors, et comme je l’écrivais dans L’Antimanagement (L’Harmattan), le management, à l’image de la matière, peut se manifester :
(1) Par sa gravité bienfaisante. Comme la matière maintient la cohésion des galaxies, le management agit par son champ d’attraction. Il rassemble les énergies dispersées, donne du sens aux trajectoires individuelles, oriente les mouvements collectifs. Il n’impose pas, il fédère. Ce champ gravitationnel, perceptible dans la densité des interactions, dans la vitalité des échanges et la construction des projets communs, est la manifestation de sa présence.
(2) Par sa lumière créatrice. Comme les étoiles illuminent l’univers, le management brille par la vision qu’il porte, l’énergie qu’il diffuse, la confiance qu’il génère. Cette lumière éclaire les chemins, rend visibles les potentialités et nourrit l’engagement. Même si certaines zones de l’univers restent obscures, il appartient au management d’être cette source de clarté, de chaleur et de vie. Pour tout dire, créer des lignes de vie.
L’art stellaire du management vivant
Réfléchir au management, c’est moins en faire une science rigide qu’un art du vivant, un jeu d’équilibres subtils, une philosophie de l’altérité active. Comme la philosophie qui exige de s’extraire parfois de la pure philosophie (Deleuze et Guattari), le management se pense mieux quand on accepte qu’il ne soit pas entièrement saisissable. Jusqu’à énoncer que le but du management, c’est sa cessation. Ce qui ne veut pas dire sa disparition, mais bien son accomplissement. Non pas cesser de guider, mais accompagner autrement. Le jour où l’on passe du « voici ce que tu dois faire » au « que puis-je faire pour t’aider ? », le jour où l’on se fait employé de son employé, le management atteint alors l’une de ses formes les plus abouties : celle de l’alliance. Peut-être l’un des plus beaux mots de la langue française. Accord, anneau, tables de la loi. « Esprit religieux sans la foi [...] première civilisation sans valeur suprême » (Malraux).
Un univers en expansion
Là est la véritable destination du management : devenir le cadre vivant où les relations se déploient, où les talents s’expriment, où les finalités communes émergent. L’univers du management n’est pas un trou noir, c’est un cosmos vibrant de forces visibles et invisibles.
C’est dans cette tension féconde entre gravité et lumière qu’il puise et donne de l’énergie, premier KPI dans sa relation aux autres. C’est dans sa destination, là où ça arrive, qu’il prend tout son sens.



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