Grenoble 2026 : Migrants, ce que je crois !
- lroche1240
- 23 juil.
- 5 min de lecture
Juillet-Août. Les grands départs ! Où on laisse vacant le domicile principal. D’où vacances.
Des vacances encore inaccessibles pour un foyer sur trois.
Voyages choisis, pour le plaisir, pour ceux qui partent.
Seulement voilà : tous les voyages ne se valent pas !

Je laisserai, pour ce qui suit, les voyages à travers les récits, les romans. Se déplacer ne fait pas un voyage. Prenez les nomades. « Les nomades ne voyagent pas. Il n’y a même pas plus immobiles. Les nomades sont accrochés à leur terre » (Toynbee). C’est parce que la terre ne donne pas, ou ne donne plus, qu’ils ne peuvent que nomadiser. D’un bout à l’autre de leur terre déshéritée, mais toujours sur leur terre.
Autres voyages – c’est là que cela m’intéresse – quand « le destin bascule pour devenir tragique » (Camus). Les voyages qu’entreprennent les exilés, les immigrés, pour devenir alors des réfugiés. Ce sont ces voyages dont parle Deleuze :
« Parce que pour eux ce sont des voyages forcés, ils doivent être considérés comme des voyages sacrés. »
À méditer !
*
Le réfugié inquiète
Parce qu’il réveille, parce qu’il fait écho à nos mal-être, il nous dérange. Parfois même, il insupporte.
Bouc émissaire de nos peurs, de nos difficultés, de nos fatigues, de nos souffrances.
Comme jadis, nous l’expliquait René Girard, « le prêtre d’Israël posait ses deux mains sur la tête d’un bouc pour transmettre les péchés commis par les Juifs à l’animal », avant de le chasser dans « le désert d’Azazel [traduit fautivement par “émissaire”)] pour tenir les péchés à distance ».
Combien parmi nous, tel le bon Samaritain de la parabole – lui aussi alors en voyage – ont été pris de pitié ? À entendre – au-delà de l’émotion, au-delà de l’image – combien parmi nous, envers le réfugié, ont exercé la miséricorde ? Combien parmi nous ont agi en prochain ? Dans les dires, déjà. Dans les faits, ensuite.
Ouverture à l’hospitalité, comme la définissait Kant : « le droit de tout étranger de ne pas être traité comme un ennemi dans le pays où il arrive »
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Vae victis, malheur aux vaincus
Chaos et défis migratoires. Des guerres, des régimes politiques, des bouleversements climatiques. Migrants qui fuient leur terre, leur pays, pour leur liberté. « Mi‑grands », à genoux sous la coupe des passeurs, privés de toute dignité. Réfugiés, enfin, pour les survivants. Comme je l’écrivais dans La Théorie du lotissement, plus personne n’est responsable de rien. Facile !
Je parle là de notre responsabilité à faire accueil. Ce qui ne veut pas dire, me concentrant ici sur les seules victimes, que je ne veux pas voir (pour les dénoncer) les bourreaux. Voir le réfugié, c’est voir aussi le pourquoi du réfugié. Cela veut dire aussi nommer les organisations terroristes, les dictatures. Ne jamais oublier les causes. Indifférence devant les réfugiés ; pire, souvent : le rejet !
Comme le courage vient à manquer pour nommer, la responsabilité, dans le monde égocentré qui est le nôtre, ne tient que très rarement debout. De loin, notre monde, qui n’est jamais qu’un monde de l’entre-nous, tient. De près, ce n’est plus la même chanson. Semblable à la maison de Swift dans Les Voyages de Gulliver, qu’un architecte avait construite en parfaite conformité aux lois de l’équilibre : qu’un moineau vienne à s’y poser, et c’est tout l’édifice qui tombe.
« Après moi le déluge ! » disait Louis XV. « Ce fut un déluge de sang » (Émile Cantrel)
Ajoutons qu’il en sera toujours ainsi, tant que l’on continuera de dévider le fil de l’irresponsabilité. Insupportable !
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L’éthique, c’est apprendre à penser l’autre
Être responsable, digne de respect, cela veut dire adopter une attitude éthique. Non pas la responsabilité sociale et sociétale, chère aux organisations. Non pas le développement durable. Évidences aujourd’hui. J’allais dire presque-fastoche !
Non, l’éthique, ce n’est pas ça ! L’éthique, comme le veut Raphaël Enthoven, c’est autrement plus ambitieux. L’éthique, c’est la capacité à penser la place de l’autre. Ce qu’on appelle l’altérité – le « caractère de ce qui est autre », comme Levinas la définissait.
Mieux, plus ambitieux encore, il me semble que l’éthique, c’est aller jusqu’à apprendre à penser l’autre. Si l’éducation, si les écoles, si les universités, si les groupes de formation professionnelle et d’enseignement supérieur, n’avaient qu’une fonction, ce serait, au-delà des compétences, au-delà des savoirs et compétences : apprendre à penser l’autre. Un autre, dans ce qu’il est, un autre dans sa réalité d’aujourd’hui, mais aussi dans son identité en construction. Ce qu’on appelle « ipséité ».
Un autre qui n’est pas seulement à mon service. Un autre qui n’est pas seulement là pour mes intérêts propres. Plus détestable encore, quand cet autre me sert d’argument et d’ajustement de programmes populistes. Aspirateur de voix à bon marché de voix.
Non, cet autre, ce prochain – qui n’est évidemment pas le plus proche de moi, mais le prochain qui passe – cet autre qui, aujourd’hui, porte bien souvent les stigmates de celles et de ceux rejetés de toutes parts, je dois apprendre à le penser.
C’est avec lui que je dois apprendre à entrer en humanité. Comme nous y incitait Kant, et comme nous le rappelle aujourd’hui Einthoven, dans mon actualité, dans mon « maintenant », ainsi que le voulait Hegel. Quand la tâche de la philosophie est bien aussi de dire qui nous sommes – à la manière de Foucault – quel est notre présent.
Si ennemi il y a, ce n’est pas l’autre, l’étranger, le réfugié.
Si ennemi il y a, il est en nous.
De cette reconnaissance dépend notre capacité à évoluer d’une vision dépassée d’un partage du monde à la représentation extrêmement vivante d’un monde de partage (C. Lelouch).
Ce que nous devons comprendre, c’est que ce n’est plus seulement le migrant qui migre pour se faire réfugié, mais nous, devenus ses compagnons de route en quelque sorte, qui migrons et progressons à travers lui.
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Je n’est pas seulement « un autre » comme le voulait Rimbaud.
Je est d’abord cet autre !
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« Apporter de nouvelles couleurs. Porter son regard au plus haut, au plus loin. Être ce que nous sommes capables de devenir. Visualiser le futur. Créer et lancer de nouvelles lignes de vie. Opérer de nouvelles puissances. Éprouver de la joie. Porter, là aussi au plus haut, au plus loin, les valeurs de la République, c’est aussi de notre responsabilité à toutes et à tous. Des valeurs de bienveillance, des valeurs de compassion, d’ouverture aux autres, des valeurs d’engagement, de courage, de responsabilité », comme je l’écrivais dans La Théorie du lotissement.
Ce qui peut toucher, bouleverser, induire un réel changement, ne passe pas par l’explicite. Cela passe par l’émotion, la capacité à éprouver. Le « Je suis » est plus fort que le « Je pense » (Bachelard). Définition exacte de l’intelligence, définition exacte de la culture. Non pas connaître, mais ressentir une émotion.
Oui :
Que jamais plus, lorsqu’on nous demande des nouvelles des réfugiés, nous ne puissions répondre comme Caïn au sujet d’Abel : « Cela ne me regarde pas ! »



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