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Le Pardon. Impossible nécessaire et nécessaire possibilité

  • lroche1240
  • 13 juil.
  • 4 min de lecture

Pardonner, ce n’est pas nier le mal. C’est le regarder en face. C’est rompre avec la logique de la répétition. Mais c’est aussi accepter, qu’en soi, quelque chose ne pardonne pas. Et c’est à partir de cette résistance intérieure, de cette fracture, que peut naître un pardon vrai.

Le pardon, ce n’est donc pas l’oubli. C’est un accord, un deal passé avec soi-même. Dupe de rien, mais comptable des efforts à faire et tenir bon face aux pulsions des tempêtes intérieures.

 

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« Penser l’existence sans poser la question du pardon témoignerait d’une tentative d’esquiver la question irréductible du mal dans la condition humaine. » Yves-Charles Zarca, philosophe et fondateur de la revue Cités, pose la question à hauteur d’homme. Question qui se pose à toutes et à tous, tôt ou tard.

Peut-on pardonner ? Peut-on tout pardonner ? À qui s’adresse vraiment le pardon ? Et d’ailleurs, comme l’on pourrait dire à qui profite le crime, à qui profite-t-il ? À celui qui le reçoit ? À celui qui l’accorde ?

 

Rompre l’engrenage du mal

Pour Simone Manon, professeur de philosophie : « Pardonner consiste à rompre l’engrenage des faits passionnels par lequel le mal subi suscite ressentiment, haine et désir de vengeance.»

Car le mal, une fois commis, est irréversible. Il ne peut être annulé. « Parce que le mal qui a été fait ne peut pas ne pas avoir été […] l’enfer serait assuré sur terre s’il n’y avait le pardon. » Voilà pour la nécessité.

Mais qu’en est-il de la possibilité ?

Peut-on vraiment tout pardonner ? Ce qui revient à poser la question de l’impardonnable. Et c’est là, précisément, que les choses commencent à devenir intéressantes.

 

Il n’est de pardon que de l’impardonnable

Jacques Derrida ne tourne pas autour du pot : « Il n’est de pardon que de l’impardonnable. »

Le pardon n’a de sens que s’il est impossible. C’est lorsqu’en moi quelque chose reste irréductible au pardon que le pardon devient réel.

Comprendre dès lors que, dans l’absolu, le pardon n’existe pas. Le pardon ne peut surgir que dans la tension, dans la déchirure, dans le frottement avec le non-pardon. Si je peux pardonner sans effort, sans douleur, alors ce n’est pas vraiment du pardon. Ce peut-être de l’oubli, de l’indifférence, une forme haine sous la toge de déni.

Le pardon doit avoir un coût. C’est en cela qu’il est aussi un don.

 

L'impardonnable : entre crime et criminel

Mais alors, jusqu’où va-t-on ? Jusqu’au pire ? Jusqu’à ce que l’horreur rende même le langage impuissant ?

Les génocides. Les attentats. Les crimes de guerre. Les violences contre les enfants. Hannah Arendt a mis en lumière ce qu’elle appelle les crimes politiques radicaux, ceux que « les hommes ne peuvent ni punir, ni pardonner. »

Elle nous invite à une distinction essentielle : pardonner la personne, et non le crime. Pour Claudia Hilb, qui commente Arendt : « Quand on pardonne, c’est la personne, et non le crime, que l’on pardonne. »

Vladimir Jankélévitch, quant à lui, se dresse contre l’idée de pardonner sans demande de pardon.

« Le pardon ! […] Mais nous ont-ils [il parlait des nazis] jamais demandé pardon ? » Cette demande de pardon, Jankélévitch devra attendre 35 ans, juin 1980 exactement, pour qu’un Allemand, Wiard Ravelling, professeur de français dans l’enseignement secondaire, alors qu’il n’y est évidemment pour rien des abominations du régime nazi, la formule.

Le pardon n’a rien d’une abstraction morale. Il suppose une relation, une adresse, une reconnaissance. 

 

Le pardon n’a rien de naturel

Même loin des horreurs de l’histoire, même dans nos vies quotidiennes, le pardon reste un défi. Rien de naturel, là-dedans. Pour Simone Manon, il exige l’inhibition des mouvements spontanés que suscite l’offense : la colère, la vengeance, le repli.

Kant y voit un acte de liberté. Pascal, une forme de grâce. Le pardon se tient quelque part entre la volonté et la transcendance. Il est à la fois humain et plus qu’humain.

Sans aller à ces sommets, le « don », dans le pardon, peut déjà ouvrir une voie. Car pardonner, c’est peut-être aussi se donner à soi-même une liberté nouvelle. Un allègement. Une paix.Comme on n’est jamais aussi tenu par quelqu’un que lorsqu’on le hait, pardonner, ne veut pas dire absoudre, ni excuser, ni oublier, mais, peut-être, se délier. Non pas vouloir transformer le plomb de la haine en or de l’amour, mais, plus simplement, de reprendre souffle.

 

Les paradoxes lumineux

« Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil, dent pour dent. Mais moi, je vous dis : ne résistez pas au méchant. [...] Si quelqu’un veut plaider contre toi et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. […] Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent » (Évangile selon Matthieu).

Ce n’est pas de la morale. C’est une subversion radicale des rapports humains. Ce n’est pas un ordre, mais une voie. Une folie, peut-être, mais une folie douce. Une forme extrême de liberté intérieure.

 

Se faire avoir, et alors ?

Dans mes interventions, j’ai conceptualisé une idée simple, moins radicale que celle de Saint Matthieu, mais tout aussi difficile à entendre : Ce n’est pas grave de se faire avoir ! 

Accepter de se faire avoir n’a rien de christique – il ne s’agit pas d’offrir son corps en sacrifice vivant. Comme d’ailleurs, cela n’est ni vertu, ni faiblesse. Non, accepter de se faire avoir, c’est initier un nouveau rapport là où il n’y a souvent que rapport de forces. C’est une posture.

Car dans les relations, rien n’est jamais vraiment équilibré. Ni dans la vie privée, ni dans le monde professionnel. À tout prendre, plutôt que de rajouter du bruit, parfois de la fureur, il vaut parfois mieux être celui qui se fait avoir plutôt que de « l’emporter » par mimétisme de comportements jamais très éthiques.

Évidemment, il y a des limites. Il y a ce qu’on appelle la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Pardonner ne veut pas dire tout accepter. Cela ne veut pas dire se taire, ni subir. Cela peut vouloir dire aussi savoir attendre – lorsque trop de règles ont été bafouées. Attendre alors le temps qu’il faudra, et, le moment venu, poser les limites – ce qui peut être un vrai cadeau, pour soi comme pour aux autres. Savoir dire alors, comme le chantait Renaud : «Mais faites gaffe ! J’ai mis la main sur mon flingue. »

 
 
 

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